Seconde personne

auteur, subst. : qui est la cause première ou principale d’une chose.

(2019) Boaz, Malachie, Deborah & Amos

Longtemps, il t’a serré contre lui. Et puis il s’est levé. Il te sourit et il court vers la chambre de sa sœur à côté. Elle s’agace qu’il déboule, comme ça, sans précaution, et dit dans un sourire que d’accord, elle partira avec lui à la plage. Il revient dans la chambre où tu te changes, il faut mettre des vêtements déjà usés, c’est jour de bricolage. Il ferme la porte, se met nu devant toi, nu cherche son maillot – « tu as vu mon maillot ? » – qu’il finit par trouver, qu’il enfile. Il te lance un sourire infini et disparaît comme il est apparu, en coup de vent. Tu le retrouves sur le perron de la maison, tandis que vous brossez les volets avant de les peindre. Sa sœur le tient par le bras, cabas en raphia à l’épaule. Ils disparaissent sous vos yeux amusés. 

Il te manque déjà, mais tu es bienheureux de passer un peu de temps, seul avec Amos. Tu aimes sa présence, ses conseils, la sensation que produit dans ton cou sa main sur la tienne quand il te montre comment on brosse le bois, dans le sens des veines, attention, pour ne pas le blesser. Cette sensation, sans contact donc, qui vient du ciel, te dis-tu. Amos est bienheureux, lui aussi, de retrouver son garçon. Tu es ce garçon et vous venez de loin. Boaz, il va falloir en parler, on ne peut pas esquiver… 

Dans un instant, d’accord, après que vous aurez acheté des pinceaux au commerce, au bout de la route. Amos va dans la maison, chercher un peu d’argent. Vous fermez le portail. Vous marchez, côte à côte, sur le gravier de la route. Vous ne parlez pas. Vous regardez autour de vous. Les maisons aux couleurs vives. Les pots de terre où poussent des arbres à fleurs. Un petit carrefour. Route de goudron, sinueuse, en surplomb de la mer. Vous regardez la mer, la plage en contrebas, mouchetée d’hommes. Tu penses à Malachie et Deborah, qui sont là, quelque part. Tu les cherches et tu sais pourtant que tu ne les trouveras pas. Une voiture passe à côté de vous et s’arrête brusquement. L’homme, au volant, tourne la tête, sourit dans votre direction en faisant un grand signe de la main. Vous répondez. La voiture repart aussitôt. 

Bientôt l’îlot de commerces, au croisement de deux routes. Une boucherie, une épicerie, la pharmacie et une droguerie où vous entrez. La femme, au comptoir, est absorbée dans ses papiers. Un instant passe. Elle lève la tête, croise ton image. Son regard se fige un instant et elle te lance un sourire radieux. D’un geste elle quitte le comptoir et s’avance vers vous. Elle salue Amos, émue se tient devant toi, te scrute un instant et t’embrasse tendrement. Toi, tu te laisses faire. Tu t’abandonnes à son étreinte. Elle te parle d’une voix enjouée et tu ne comprends que quelques mots, en souvenir des années précédentes. 

Amos échange quelques mots avec elle. « Nous venons d’arriver », dit-il en italien. Il choisit deux pinceaux, paie la femme et la salue. Elle vous raccompagne à la porte et s’engouffre aussitôt dans le commerce voisin où elle lance d’une voix forte : « È arrivato ». Les gens sortent, la femme pointe son doigt dans votre direction. Tous vous regardent un instant. Toi tu ne les vois pas. Tu leur tournes le dos. Ils te lancent des bonjours italiens. 

Tu t’es retourné, juste la tête, posture sculpturale. Entre eux et toi, sourires aussi gênés que sincères. Tu laisses Amos un instant et tu t’avances vers eux. Chacun t’embrasse. Toi, tu t’abandonnes à eux. Un enfant te prend dans ses bras, ses bras autour de tes hanches, la tête contre ton ventre. Tu poses ta main sur sa tête. Tu balbuties quelques mots, vous souriez toujours, tu fais des gestes de peintre auxquels ils ne comprennent sûrement rien. « Je vais peindre les volets » leur lances-tu, enthousiaste. Tu te tournes vers Amos qui te regarde tendrement parmi eux. Tu lui demandes comment on dit peindre. Tu répètes peindre en italien, mais sans le conjuguer et tu les laisses. Ils n’auront rien compris mais c’était bien de faire le geste. Tu rejoins Amos et vous partez. 

Tu ne les vois pas, mais ils restent là, à te regarder partir en parlant, exaltés. Vous marchez jusqu’à la maison où vous repeignez finalement les volets. Autant dire qu’un seul jour ne suffira pas. Il vous en faudra trois. Malachie ne t’en voudra pas. Boaz, il est temps. 

(extrait)