Seconde personne

auteur, subst. : qui est la cause première ou principale d’une chose.

(2020) Simon, Rivière, Mircea

Passez les jours. Et les jours – les semaines sont passées, où vous avez parfait le détail de vos danses, au pas près – de votre quotidien. Tout commence avec un bip, un son unique et répété à rythme régulier, assez rapide, sur la montre de Rivière. L’élémentarité du son contraste avec le raffinement du bijou. Et Rivière porte le poignet à ses yeux qu’il ouvre comme s’il ne dormait déjà plus. Il tapote sur l’écran. Le bip s’arrête. Il dort sur un côté du lit, désormais. Tu t’es mis au milieu. Tu as compris qu’il se lève tôt. L’astreinte de son programme, chaque jour, sauf le dimanche. Rivière s’assoit au bord du lit, il te regarde et il se lève, beau comme il est, le corps tendu. Il marche, pieds nus, jusqu’à la salle de bains où il se met nu, pour la douche. Il frotte son corps, longtemps, sous la douche. La buée trouble la vision, dans la salle de bains. Le miroir, couvert de buée qu’il essuie lorsqu’il s’est essuyé, après la douche, il se rase et puis se coiffe, serviette autour de la taille. Retirer la serviette, le boxer, le son du foehn dans les cheveux, déodorant sous les aisselles après le t-shirt qu’il atomise de parfum. Le pantalon, les chaussettes. Il est prêt. 

Sur le chemin, de la salle de bains jusque dans la cuisine, Rivière traverse la grande pièce. Il s’y arrête, un instant, vous regarde dormir, un instant. Odeur de nuit. Beauté sur vos visages, calme total qui contraste avec le jour et il vous laisse, dans la cuisine entame les préparations diverses, pour le petit-déjeuner. Mettre l’eau à bouillir, pour le café. Sortir trois œufs d’une boite, les casser puis les battre, dans un bol. Un peu de sel, une gorgée d’eau. Il moud le café, plus grossièrement que d’habitude parce que depuis la veille, il prépare le café dans une machine nouvelle. Autre recette. L’eau bout. Il baisse le feu, dessous. Il reste là, tranquille, devant la gazinière, sans rien faire. Parce qu’il sait, qu’au vacarme du moulin, tu te réveilles. Que tu te retournes, dans le lit. Que tu te glisses là où il dort – et tu aimes le contact de ton visage sur le parfum de l’oreiller, où il dort. Que la fraîcheur du drap, laissée par son absence, achève en général de t’extraire du sommeil. Que tu te mets, assis, sur le bord de ton lit, que tu frottes ton visage. Bonjour, Simon, et puis que tu te lèves. Que tu t’étires. Que tu regardes Mircea dormir, paisible. Et que ton geste prochain est pour lui. Tu marches sur le sol frais, jusque dans la cuisine où tu le vois de dos, debout, devant la gazinière. Tu t’avances vers lui et tu l’enlaces. Ton torse collé à son dos, la chaleur de ta nuit collée à son dos, les bras autour de sa taille, les mains sur son ventre. Et tu reposes ta joue sur son épaule, et tu rejoues la nuit. Tu feins de rejouer la nuit. Il tourne la tête vers toi. Il ne peut pas te voir, il le sait, mais ainsi il atteste ta présence, et le sourire sur son visage le bonheur à te voir. Un instant passe ainsi et vos corps qui s’animent. Le sien d’abord. Mettre du beurre, dans la poêle, et puis le feu dessous. Tu t’assois à la table, à côté. Il y installe le matériel, pour la préparation du café qui arrive. Les œufs dans la poêle, où le beurre a fondu. Il verse l’eau bouillante, de la casserole jusque dans le récipient en verre – un genre d’erlenmeyer, sur la table. Il fixe l’autre récipient en verre, dessus où il verse le café, sur le filtre. Tu le regardes faire. La netteté de ses gestes où ton esprit se dégourdit. Il allume le réchaud, le son du gaz qui s’échappe du réchaud, sous la cafetière. Et l’eau encore presque bouillante qui frémit de nouveau. Tu regardes le spectacle, l’eau monter, d’un récipient à l’autre, qui se mêle au café, qui brunit. Il faut attendre soixante secondes, t’a-t-il dit, la première fois. Et soixante secondes plus tard, il coupe le gaz, dans le réchaud et le liquide, dans le récipient haut, retourne bruni dans le récipient bas. L’odeur du café, dans la cuisine, le sourire sur ton visage, le plaisir de ce jeu. Il sort trois tasses, il sert trois tasses. Et trois assiettes avec les œufs. A ce moment précis, quand tout est prêt, il sait que tu étires ton corps, que tu couches ton visage, sur la table, sur le côté, que tu allonges un bras le long de la table, pour sentir la fraicheur. Il sait qu’ensuite tu te redresses et que tu le regardes, affamé. Tu manges les œufs, bois le café. 

— « Tu dois vraiment te lever, comme ça, tous les jours, à la même heure ? » lui lances-tu, souriant, comme les autres jours.

Tu aimes entendre sa réponse. Et il t’explique que les statisticiens sont formels. Que se lever à heure fixe favorise la santé, augmente la concentration. 

— « Mais se lever à heure fixe, ça ne veut pas dire se lever tôt, si ? »

Il te sourit, il remet tes cheveux, il te fait beau. 

Lorsqu’il se prépare à partir, chaque matin, assis au bord du canapé, qu’il enfile ses chaussures, qu’il lace, double nœud, tu es devant l’écran de ton PC, tasse de café à la main. Tu travailles. Il regarde ses chaussures, te regarde de dos, les bras nus. Il se redresse, s’avance vers toi et debout, derrière toi, les mains posées sur tes épaules, se baisse et embrasse tes cheveux. Parfois d’un geste de la main il caresse ton visage. Il te laisse. Il s’avance vers le lit. Ses chaussures lourdes, noires, près du lit, du côté de Mircea. Il s’accroupit. Il pose la main sur son épaule qu’il agite légèrement. Mircea, il faut te lever. Mircea gémit. Il se plaint. 

— « Mais qu’est-ce qu’il a celui-là, il est fou ! » dit-il en se tournant.

Tourner le dos à Rivière, lui dire que non, il ne se lèvera pas, il aime trop être au lit. 

Rivière se redresse, il te regarde, te sourit. Votre complicité, les réveillés. Il s’apprête à partir, attrape les clefs, son sac à dos et Mircea s’est levé. Il est debout, comme un zombie, les yeux encore fermés il s’avance vers Rivière qu’il prend dans ses bras, qu’il étreint. Tu les regardes ému. Rivière caresse ses cheveux, caresse son dos, pour le ramener au jour et il le lâche. A tout à l’heure. Il laisse Mircea au milieu de la grande pièce, les bras ballants, encore plongé dans le sommeil. Parfois Mircea va faire pipi. Parfois il se recouche. Parfois il va dans la cuisine, chercher le café déjà prêt, qu’il verse dans sa tasse. Et il retourne dans la grande pièce.

— « Il n’a toujours pas compris que je ne mange pas le matin ? C’est fou ! » dit-il, ému.

Vous savez qu’il serait très déçu, si Rivière ne pensait pas à lui.

— « Je crois qu’il veut que tu manges le matin, il dit que c’est le repas le plus important de la journée, le petit-déjeuner, le matin. »

Vous vous souriez, il t’embrasse et se met à son bureau. Vous travaillez à vos bureaux, sur vos machines, en silence. Vous ne vous voyez pas mais la présence de l’autre vous stimule, vous électrise. Elle vous remplit de joie.